C'est un texte, en continu, déjà commencé il y a trois ans maintenant, mais que je tarde à finir, je ne sais trop pourquoi (j’attends l'inspiration, peut-être) et qui raconte certains souvenirs de mon enfance durant le temps des fêtes. Un texte, style conte de Noël, que je souhaite laisser à ma postérité, genre...
« Clinc, keclinc, clinc, keclinc… » Le bras dans les airs, je brassais
la cloche de larges coups saccadés. Cette semaine c’est moi qui a été choisi
pour signaler la fin des cours. Privilège s’il en est un, j’éprouvais une
certaine fierté d’avoir la responsabilité de sonner la fin des classes. En
temps normal, je prenais mon temps pour savourer ce moment attendu avec
impatience. Mais aujourd’hui c’est un jour spécial. Rapidement je retournai à
mon pupitre pour ramasser mes livres, cahiers et crayons que je m’empressai de
fourrer dans mon sac d’école. Sans trop tarder et très excité, dans la cohue du
départ pour le congé des fêtes, j’ai rejoint mes camarades, dans le
corridor, qui s’emmitouflaient déjà dans leurs manteaux d’hiver. Manteaux,
mitaines, tuques et bottes virevoltaient et s’enfilaient rapidement à travers
les bousculades et les rires dans le chahut, qui pour une fois étaient tolérés par
notre enseignante. On voyait bien que pour la forme, mademoiselle Villiard
tapait des mains en répétant, à qui voulait l’entendre, de baisser le ton. Mais
son regard complice et son sourire complice aux lèvres en disaient long. On devinait
qu’on pouvait transgresser la loi du silence, habituellement de mise en
pareille circonstance. Enfin, ce moment tant espéré est arrivé : le long congé
des fêtes de Noël, du Jour de l’an et de l’Épiphanie. Je précise l’Épiphanie,
car dans ces années-là, il était toujours d’usage et de plaisirs avoués, de
festoyer le 6 janvier de chaque année pour souligner l’évènement de la quête
des rois mages.
D’un pas pressé, quoique gênés par nos habits d’hiver et notre sac à
dos en bandoulière, nous descendions
l’escalier en ciseau, tel un troupeau de veaux excités à l’idée d’aller
se dégourdir les pattes à l’extérieur après de longs mois encabané. Dehors,
après seulement quelques minutes de marche, l’air sec et froid malgré le
soleil, nous collait les narines.
Mais qu’importe, pour les 15 prochains jours bien comptés, nous étions en congé
des fêtes. Il faut dire que je n’habitais pas bien loin de l’école. Aussi, très
tôt, dans le tournant de la route, je pouvais apercevoir mon grand frère occupé
à pelleter la neige pour consolider le fortin
que nous étions à construire. De retour du pensionnat depuis deux jours, il
était manifestement heureux d’être de retour parmi nous pour cette période
toute spéciale de l’année.
Sans plus attendre, j’ai déposé mon sac par terre. «Salut m’man, je retourne
dehors». Cela n’a pas pris beaucoup de temps, que nous nous retrouvions sept inséparables à travailler dans nos
fortifications. En effet, comme l’an passé, on se proposait de construire
deux abris de combat, situés à distance de propriétés voisines. Nous pouvions
ainsi former deux équipes, qui s’affrontaient le temps d’une rixe préméditée,
pour les besoins du jeu. Afin d’assurer une solidité accrue aux abris de combat, nous avions pensé
à un moyen fort ingénieux. Nous
allumions un feu à l’intérieur de l’enceinte. La chaleur dissipée faisait
fondre les murs intérieurs et glaçait les parois, assurant ainsi une durée de
vie à ces ouvrages pendant une bonne
partie de l’hiver. Le soleil était couché depuis un bon moment lorsque nous
sommes rentrés pour souper. Les joues chaudes de froid picotaient notre
épiderme rougi de santé; mais ô! Tellement heureux de songer que nous étions à seulement 24 heures de la
veille de Noël.
Le lendemain, probablement causé par l’énervement, je fus le premier
éveillé. Les yeux grands ouverts, je balayais du regard la pièce que je
partageais avec mon frère ainé. Nous habitions un cottage où nous dormions à l’étage. Mes parents ont aménagé dans cette
maison avec l’intention de finaliser eux-mêmes une partie de la construction.
Mais comme nous étions de milieu ouvrier, et que notre famille était composée de quatre frères et cinq sœurs, ce fut
assez long avant que les travaux de finition ne se fassent, priorité de
dépenses oblige. Ainsi, lorsque j’étais en bas âge, tout l’étage était
partagé en quatre avec de grands morceaux de tissus bleus marines opaques suspendus, qui
adonnaient sur un corridor commun central menant à l'escalier de chêne verni. Les murs extérieurs, le plancher et le
plafond en appentis étaient recouverts en planches de bois d’épinette lambrissée.
Ce qui donnait une apparence modeste et plutôt rustique à la maison.
Au réveil, tôt le matin, on descendait rapidement l’escalier pour aller se réchauffer sur l’unique bouche
d'air pulsé de la fournaise à l’huile, installée au niveau du rez-de-chaussée. Nous
passions de longues minutes debout sur la grille à nous bousculer en geignant encore endormis, partageant cette unique source de chaleur localisée
dans la cuisine, pièce centrale de la maison. L’air chaud soufflé qui s’engouffrait dans nos pattes de pyjamas, les gonflait telles
des montgolfières et nous confortait d’une douce chaleur. Comme beaucoup de
maisons bâties après la Grande Guerre, autour de la cuisine gravitait le salon,
le garde-manger, la chambre des parents, la cage d’escalier, la salle de
toilette, la cuisinette et une pièce de rangement. Les chambres d’enfants étant à l’étage. Ce matin, j’étais donc le
premier debout. Aussi, après une halte rapide au dessus de la grille de
la fournaise, je me dirigeai vers le salon.
La crèche peinte en vert que mon père avait fabriquée avec des pièces de
bois et du verre assorti de collants
d’étoiles et de séraphins, était couverte d’un toit décoré de papier crêpé
imitant une roche grisâtre nervurée d’un celant plus pâle, et reposait sous le
sapin paré de milles artifices. D’une année à l’autre, je ne me lassais jamais
d’admirer cet arbre majestueux rempli
d’une multitude de lumières aux couleurs vives de l’arc-en-ciel, de nombreuses
décorations aux formes variées de boules glacées et colorées, de gouttes d’eau
stylisées allongées, d’étoiles scintillantes, d’anges ailés, d’oiseaux
multicolores et de glaçons brillants d'aluminium argentés. Moulés dans le plâtre et peints à la main, tous les
personnages principaux de la nativité complétaient la scène, à l’exception du
petit Jésus en cire. On y voyait Marie recueillie, les mains croisées posées sur sa poitrine, et Joseph agenouillé,
s’appuyant sur son bâton de pèlerin, le regard attendri, tous deux
tournés vers le berceau rempli de paille jaune à ras bord. Deux bergers, l’un
debout portant un agneau sur ses épaules et l’autre accroupi en prière, quelques moutons laineux ainsi que les rois mages
prosternés, offrant la myrrhe, l’or et l’encens, se tenaient en retrait de la
scène. Sans oublier le bœuf couché et l’âne, bien campé sur ses pattes, qui
ruminaient relaxant près de la mangeoire laquelle faisait office de berceau.
Et comme il était de coutume, chez nous, l’enfant Jésus était absent du décor.
Mon père, un homme plutôt rationnel et taciturne, ne laissait pas beaucoup de
place à la rêverie et à l’imaginaire. Pourtant, il accordait une grande
importance à la mise en scène de l’enfant Jésus, qui était déposé dans son
berceau seulement lorsque l'horloge sonnait les 12 coups de minuit dans
la nuit de Noël. C’était sans doute sa façon à lui d’exprimer son émerveillement
et sa foi de catholique pratiquant.
Nous avions comme consigne de ne pas illuminer l’arbre de Noël
sans la présence de nos parents. C’était sans doute causé par la peur du feu.
Mais je me plais à penser, que peut-être souhaitaient-ils que l’on conserve
ainsi un souvenir inoubliable, quoique
nostalgique, de cette nuit de rêve, en réservant l’illumination du sapin
pour ces moments magiques et solennels. Dans un sens, cela a peut-être
du vrai. Il fut un temps où la pauvreté
des gens ainsi que la production limitée des biens de consommation étaient
telles, que les journées spéciales revêtaient un caractère sacralisé qui se
refléta dans notre manière de vivre. Lorsque l’on grandit en sachant que nous
porterons des vêtements raccommodés ou recyclés et que les souliers de l’ainé
devront bien faire l’affaire, s’ils ne sont pas brisés, même si défraichis, il
était normal de réserver pour le dimanche, journée obligatoire de repos
décrétée par notre sainte mère l’Église, et pour les festivités, nos plus beaux
habits et notre meilleure bouffe. Par la suite est venue l’abondance. Il en résultait
pour une majorité d’entre nous, que les vêtements de qualité et les repas
variés sont devenus monnaie courante dans la vie de tous les jours. Ce
fut le temps de l’opulence. Le temps où s’endimancher n’avait plus la même
signification.
Cela n’a pas tardé, Maman était déjà debout. Elle savait bien que
cette veille de Noël serait une journée très chargée. Et comme à l’habitude,
elle profitait de ce moment en se levant encore plus tôt pour entreprendre les
tâches ménagères qui naturellement lui étaient dévolues. Ainsi, comme tous les
matins que le Bon Dieu amène, comme elle le disait si bien, elle s’affairait
autour de la laveuse à linge pour faire une brassée. Après un premier cycle de
lavage à l’eau savonneuse, elle prenait le linge lavé pour le passer dans le
tordeur. Deux rouleaux beiges en caoutchouc dur, accolés l’un contre
l’autre à l’horizontale au dessus de la cuve de la laveuse, et qui tournait en
sens contraire. La pression exercée sur le linge trempé que l’on y insérait
faisait en sorte que celui-ci, essoré, était prêt pour la prochaine étape du
rinçage. Celui-ci était essoré à nouveau, de la même manière, avant d'être
suspendu pour sécher à l'extérieur. Durant les mois d’hiver, le linge raidi par
le gel était rentré et finissait de sécher dans nos chambres à l'étage. Pour
cela, parallèles aux draps séparateurs, étaient accrochées des cordes en
rangée où était suspendu le linge humide. Cela vous donne une idée de
l’environnement dans lequel nous avons grandi. Tous les jours, le même scénario
se répétait. Heureusement, elle se faisait aider les fins de semaine par mes
sœurs les plus âgées, en excluant l’essorage, cette étape étant jugée trop
dangereuse par mes parents. Après le lavage, elle s’affairait dans la
cuisinette pour préparer le déjeuner. Comme c’était congé d'école pour tous, mes sœurs
aînées devaient participer aux travaux ménagers. Quant à nous, les garçons, nous
devions aider à l’entretien de la maison en accomplissant les tâches plus
costaudes, comme pelleter l’entrée de cour. Nos tâches ménagères se limitant
plutôt à sortir les poubelles et essuyer la vaisselle. Je me souviens, comme
toutes les veilles de Noël, la pression était très haute, et lorsqu’elle
passait la mope sur le plancher, on
l’entendait de sa voix agacée, nous crier : « Passes pas dans mes tas de
poussière, scram qu’elle nous criait.
» Ou bien encore : « Évade de là. Voulez-vous bien, aller jouer ailleurs. »
Nous savions que nous avions intérêt à nous effacer. Question de faire baisser
un peu la pression.
Entre temps, j’ai assisté à une conférence en novembre 2011 dont le sujet traitait de l’aspect historique des crèches dans le cadre de la naissance de Jésus. Conférence donnée par Monsieur Rodolfo Felices Luna, doctorant en théologie de l’université de Sherbrooke. Celui-ci nous fit la démonstration que la nativité telle que véhiculée par la tradition chrétienne ne reposait que sur les dires de l’apôtre Luc, ses congénères Paul, Marc, Jean et Mathieu ayant une version beaucoup plus conventionnelle de la naissance et de l’enfance du Christ.
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