C'est en septembre que ça se décide. Parfois même dès le premier cours. La cloche sonne. Trente élèves s'assoient à leur pupitre. Trente paires d'yeux fixent la porte de la classe. Impatients de savoir de quoi a l'air le prof. Parfois sa réputation le précède et elle entre en premier. Les jeunes ont déjà peur. Les plus vieux leur ont dit qu'ils allaient passer par là. Ça peut aussi être le contraire. Les jeunes sont déjà turbulents. Baveux. Les plus vieux leur ont dit que c'était un mou.
Le professeur arrive, les élèves l'analysent. Ils le scannent de la tête
aux pieds. Sa démarche, son habillement, ses cheveux, son poil aux oreilles,
son manucure, ses mèches, son parfum, son accent, ses tics. Ils n'ont que ça à
faire. Le regarder. Durant toute la période. Alors ils le font. Quand le
premier cours est terminé, leur idée est faite. Ils vont aimer ou pas le
français, les mathématiques, la chimie, la biologie, la géographie ou
l'éducation physique selon qu'ils aiment ou n'aiment pas M. Proulx, Mme Boily,
M.Dutil ou Mme Bernier.
Je me demande à quel point les profs sont conscients que l'école c'est
eux. Ce sont eux les stars. Ils sont les Guy A. Lepage, Julie Snyder, Marc
Labrèche, Louis-José Houde de leur matière. Ce sont eux qui l'animent. Ce sont
eux qui y donnent vie. Qui rendent ça intéressant ou ennuyant. Qui partagent
leur passion. Si le prof est sur le pilote automatique, le cours va crasher,
c'est sûr. Mais si le prof fait de la haute voltige à la Luchini, en récitant
des vers ou en déclamant ses dictées, les élèves seront au septième ciel. Bien
sûr, personne n'est condamné à être génial. Les profs sont comme les sportifs,
les politiciens, les plombiers, les chroniqueurs, ils font ce qu'ils peuvent
avec ce qu'ils ont.
Mais on ne devient pas cuisinier si on n'aime pas manger. Alors on ne
devient pas professeur si on n'aime pas enseigner. Si on n'aime pas donner un
cours. Donner une représentation. Pas besoin que le cours de physique devienne
un spectacle du Cirque du Soleil, il faut juste que les élèves sentent que leur
maître trippe sur la matière. Ça prend de l'entrain. De l'enthousiasme.
Combien d'heures j'ai passé à dessiner des bonshommes dans mon cahier
parce que le prof lisait ses notes sans lever les yeux. Monotone. Fatigué.
Résigné. Le courant ne passait pas parce que le prof était en panne.
D'inspiration. Il n'y a qu'une seule façon d'apprendre, c'est en aimant. Si on
ne fait pas aimer aux élèves ce qu'on leur demande de retenir, ils ne s'en
souviendront jamais. L'indifférence n'a pas de mémoire.
Si j'aime autant écrire, c'est beaucoup à cause de Mme Lamoureux au
primaire, M. Saint-Germain au secondaire et de M. Parent au cégep. Des profs
qui l'avaient. Ce n'était pas des bouffons. Oh que non. Mais leur vocation
était sincère et bien visible. Car c'est de cela que l'on parle. Tenir assis
sur des sièges une trentaine de ti-culs pendant toute une journée, faut le
faire. Même les parents ont de la misère à captiver leurs enfants durant un
week-end. Imaginez durant une semaine, des étrangers se relayent pour essayer
de transmettre connaissances, culture et savoir-vivre à un auditoire qui ne
rêve qu'aux vacances de Noël. Faut le faire.
Et il n'y a qu'une seule façon de le faire. Pour intéresser, il faut
être intéressant. Bien sûr, il y aura toujours des cancres qui resteront
insensibles à un cours d'anglais même si c'était Angelina Jolie ou Brad Pitt
(c'est selon) qui l'enseignait. Mais la grande majorité des élèves ne demandent
pas mieux que d'embarquer. Encore faut-il que le monsieur ou la dame en avant
veuille les mener plus loin que la fin du cours. Plus loin que la charge de
travail imposée.
Le Québec est le royaume du décrochage. C'est peut-être parce que les
jeunes ne sont jamais accrochés. C'est plate, mais c'est aux adultes de le faire.
Les médecins ont la responsabilité de guérir les patients. Les profs ont le
devoir d'intéresser les élèves. C'est bête de même. C'est beau de même.
C'est sûrement la plus noble des tâches. Permettre à un individu de
grandir. Dans tous les sens du terme.
Si c'est le devoir des profs de stimuler leurs élèves, c'est le devoir
de la société de stimuler les professeurs. En valorisant leur tâche. En
structurant les écoles autour de leur talent. En leur permettant d'être
imaginatifs.
Un professeur peut changer la vie de quelqu'un. Peu de gens ont ce
pouvoir. Il peut être un allumeur de réverbères. Comme il peut être un
éteignoir.
C'est en aidant les professeurs à être meilleurs que les élèves le
seront. C'est la seule réforme possible.
L'école, qu'elle s'appelle l'école Champlain, l'école Élan ou l'école
Sainte-Jeanne-D'arc, c'est l'école Pierre Dubois, c'est l'école Mlle
Provencher, c'est l'école Virginie. C'est l'école des professeurs.
Quelqu'un devrait l'apprendre aux directeurs de commissions scolaires et
aux sous-ministres.
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