Mon plus
beau cadeau.
Mon père, liseur invétéré, les bras accoudés
sur son fauteuil, feuilletait le journal « La Presse ». Quand ce
n’était pas le journal, c’était une revue de langue anglaise qu’il dévorait des
yeux, ou encore un de ses livres traitant de mécanique, de science ou de
psychologie. Et cela, sans compter les quelques romans, dont les livres
empruntés régulièrement à la bibliothèque municipale, lesquels trônaient dans
le meuble en bois de chêne vitré situé dans le salon, face aux trois fenêtres à
guillotine. J’aimais bien le regarder, absorbé dans sa lecture. D’un esprit
éveillé, papa savait toujours répondre avec assurance à nos questionnements. Ce
n’est que plus tard que j’ai compris, que ses lectures assidues nourrissaient
les réponses à nos nombreuses interrogations.
Ainsi, pour l’anniversaire de mes 8 ans, je
n’ai pas été trop surpris de recevoir en cadeau une carte d’abonnement à la
bibliothèque municipale. C’était sa façon de me dire que j’étais dorénavant
assez grand pour l’accompagner lors de ses visites hebdomadaires dans ce haut lieu
du savoir. La surprise en soi, venait plutôt du fait de recevoir un cadeau lors
de cet évènement. En effet, mes parents ne pouvaient pas se permettre de nous
offrir un cadeau autrement qu’à la fête de Noël. Probablement, était-il conscient
à ce moment qu’à défaut de me transmettre des biens matériels qu’il n’avait pas
les moyens de me donner, il me léguait ainsi la clé de ma liberté.
J’ai été longtemps un abonné assidu à la
bibliothèque de la ville. Que de samedi après-midi ai-je passé en sa compagnie?
Enfin, façon de dire, car en réalité nous faisions plus précisément route ensemble pour le
trajet de l’allée et du retour. Mais arrivé à destination, il me laissait libre
dans la section des étagères réservées aux enfants tandis qu’il s’appropriait
les rayons destinés aux grandes personnes. Que d’heures de plaisir savourées à
parcourir ces nombreuses tablettes en bois vernis défraîchis remplies à ras
bord de livres usagés aux multiples gabarits! Quelle joie que de scruter ces
livres, lesquels m’entraînaient tour à tour dans le monde de l’imaginaire des
bandes dessinées du reporter Tintin et de son inséparable capitaine Haddock, de
Martin le malin accompagné de son ami Florisse, ou encore de Jo, Zette et Jocko.
Que de rêveries à parcourir les bouquins relatant les aventures des 4 As, de
Bob Morane et de nombreux autres héros, encore. Chaque lecture permettant de m’identifier
à ces héros de jeunesse qui m’ont fait vivre des aventures, la plupart du temps,
rocambolesques, mais tellement captivantes.
Quels beaux moments que celui de vivre
cette complicité avec un livre! Tantôt, moments de rêverie de mon enfance, qui me
laissaient croire pour de brefs instants que je pouvais être fort comme Tarzan,
rapide comme Surperman, ou rusé comme Hercule Poirot. Moments magiques d’aventures
qui me transportaient dans des contrées lointaines et inexplorées. Ainsi, pour
peu que l’on se laisse prendre au jeu par la prose de son auteur, nous pouvons découvrir
à travers les péripéties de ses acteurs, toute la beauté des régions exotiques où
évoluent les personnages colorés des histoires racontées. Quel lecteur n’a pas
su imaginer la mystérieuse lande brumeuse de l’Écosse décrite dans un roman
d’Agatha Christie ou encore, découvrir les paysages mythiques de la Chine traditionnelle
relatés magnifiquement par l’auteure eurasienne Han Suyn.
Quelle délectation que de s’approprier un
livre! Chaque livre étant différent en soi. Chacun ayant sa personnalité
propre. On le rencontre quelques fois, gros, petit, mince, épais, et d’autres
fois plus large, étroit, lourd, léger, nouveau ou ancien. Sa couverture reste
unique. De couleur variée, la jaquette peut être souple ou rigide, cartonnée ou
plastifiée, lisse ou rugueuse, et agrémentée d’une écriture imprimée en aplat,
gravée ou bosselée. Et que dire de la puissance subtile de son odeur qui, à
elle seule, peut nous faire revivre des souvenirs que l’on croyait perdus, enfouis
à jamais dans notre mémoire? Car les livres ont du vécu qui se découvre par
l’odorat. Prenez un livre dans vos mains et humez-le, tel un bon vin. Ouvrez
l’ouvrage et faites ventiler doucement les pages entre votre pouce et votre
index. Il s’y dégagera une odeur d’encre séchée nuancée en fonction du type de
papier servant de support à l’écriture, du temps et du lieu de son entreposage.
La souplesse de ses pages variera en fonction de la qualité du papier utilisé dans
sa fabrication, et sa rigidité sera redevable à son âge ainsi qu’à l’humidité
de l’air ambiant dans lequel il aura reposé.
Bien sûr, le livre n’est qu’un support en
soi. Mais, il s’affirme comme témoin privilégié de l’accumulation du savoir du
genre humain à travers les siècles. De même, bien avant sa démocratisation au
XVe siècle à l’initiative de l’imprimerie de Gutenberg, le manuscrit agrémenté
d’enluminure, confectionné à la main par les copistes du Moyen-âge,
transmettait déjà les connaissances des textes anciens, des grammaires et des
traités de sciences. On estime qu’en un peu plus de 50 ans tout près de vingt
millions de livres avaient déjà été imprimés avant l’an 1500, et ce en plus de
30000 éditions. De ces livres, soixante-dix-sept pour cent étaient rédigés en
latin et près de la moitié revêtaient un caractère religieux, influence de
l’Église oblige. Tel que nous le connaissons, le livre a donc un peu moins de
600 ans d’âge.
Tout
dernièrement, les bouleversements sociétaux occasionnés par l’arrivée de l’ordinateur
ont eu comme conséquence la mise en marché d’un nouveau support au format
numérique qui semble s’implanter inexorablement dans notre vie de tous les
jours. Cette nouvelle révolution technologique facilitera très certainement une
plus large diffusion de nos connaissances et de l’information à l’ensemble des
habitants de la Terre, notre nouveau Village global. Nous ne pouvons que nous
en féliciter. Mais ce média ne saura jamais remplacer le livre, de la même
manière que le livre a rendu désuet, son ancêtre le codex, forme d’expression
littéraire composée de pages reliées du IVe siècle. Car il faut bien le dire, le
caractère technique, froid et impersonnel du format numérique, quoique
convivial et indéniablement utile à notre civilisation, ne saura à jamais dégager
autrement que mécaniquement cette chaleur ressentie de l’osmose viscérale entre
le livre et son lecteur.
Et c’est très bien ainsi.
François langlois
François langlois
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