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mercredi 14 mai 2014

Comment enseigner quand on a du mal à écrire?




PHOTO ÉRICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL



LOUISE LEDUC  La Presse
Pour corriger les messages aux parents ou aux autres enseignants, j'utilise tout le temps mon ordinateur portable et le logiciel Antidote. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui. Je pense même que c'est grâce à ce logiciel que j'ai passé mon bac. Je l'utilise tout le temps quand je corrige et quand j'écris.»

C'est là l'une des perles contenues dans une étude de Geneviève Carpentier présentée cette semaine au congrès de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS).
Menée auprès d'enseignants débutants du primaire, cette recherche met en lumière le sentiment d'insécurité qui les habite quand ils écrivent au tableau ou quand ils envoient des messages aux parents.
Mme Carpentier, chargée de cours à l'Université du Québec en Outaouais, insiste sur le fait que son étude ne prétend aucunement être représentative des compétences en français des enseignants du Québec en général, mais qu'elle vise plutôt à documenter les effets au quotidien d'une piètre maîtrise de la langue.
Questionnaires
Dans un premier temps, des questionnaires ont été envoyés à tous les enseignants débutants de trois commissions scolaires. Quarante-quatre enseignants âgés de 20 à 30 ans l'ont rempli, sur une base volontaire.
Dans un deuxième temps, des entrevues plus poussées ont été réalisées avec 11 des enseignants de l'échantillon qui disaient éprouver des difficultés à écrire sans faute.
Environ la moitié des 44 enseignants sondés, peut-on lire, ont du mal à écrire, et ce, bien qu'ils aient tous été acceptés au baccalauréat et qu'ils aient tous réussi l'examen de français obligatoire imposé aux étudiants en enseignement ou son équivalent, fait remarquer Geneviève Carpentier.
«Quatre enseignantes, peut-on lire, ont fait le lien entre l'obtention de leur diplôme et le logiciel Antidote. Une de ces enseignantes mentionne ceci: «Les travaux en équipe et les très rares examens écrits [à l'université] m'ont permis de me faufiler sans souci».»
«Mes amies ne veulent pas aller au troisième cycle parce que la gestion de classe est trop difficile. Moi, je suis vraiment bonne là-dedans, mais je ne veux pas leur enseigner parce que je ne suis pas assez bonne en français.»
Une enseignante sondée par la chercheuse Geneviève Carpentier 
Insécurité
Ce qui ressort clairement de cette étude, c'est l'insécurité criante des enseignants dès qu'ils ont à écrire et leur crainte de perdre toute crédibilité s'ils font des fautes.
À deux reprises, a illustré l'une des enseignantes, un parent a encerclé au crayon des fautes contenues dans le petit message qu'elle lui avait transmis la veille.
«Les deux fois, j'ai tellement pleuré parce que je me sentais tellement mal et que j'avais peur que les parents fassent une plainte à la direction. [...] Chaque fois que le directeur veut me voir, je me demande si c'est ça.»
Les 11 enseignants ayant été retenus pour les entrevues semi-dirigées en raison de leurs lacunes ont d'ailleurs tous dit que «les messages aux parents sont une grande source de stress».
Au lieu d'écrire un petit mot aux parents et de risquer de faire des fautes, neuf d'entre eux ont expliqué qu'ils préféraient leur téléphoner.
D'autres conservent dans leurs ordinateurs des banques de messages génériques (trouvés ou pas sur l'internet).
Ce qui a le plus surpris Geneviève Carpentier, c'est d'entendre des enseignants lui dire à quel point ils n'aiment pas écrire. «Comment peut-on se lancer dans cette profession sans savoir qu'une grande partie de la journée est passée à le faire?»
En classe, les enseignants qui se savent faibles en français passent beaucoup de leur temps à vérifier discrètement l'orthographe de certains mots sur leur iPhone. «Les élèves s'en rendent compte, surtout les plus vieux, ils le voient bien que je cherche certains mots sur mon cellulaire. Ça mine ma crédibilité.»
Le cours de leur carrière s'en trouve souvent touché. «Mes amies ne veulent pas aller au troisième cycle parce que la gestion de classe est trop difficile. Moi, je suis vraiment bonne là-dedans, mais je ne veux pas leur enseigner parce que je ne suis pas assez bonne en français», dira l'une.
«Admettons que je fais une faute dans un participe passé au tableau, dira une autre, je sais que ce n'est pas super, mais [mes élèves de 1re année] ne s'en rendront pas compte, c'est moins pire que si j'étais en 5e ou en 6e année.»
Formation universitaire critiquée
Fait à noter, écrit Geneviève Carpentier, les participants à l'étude ont souvent été critiques envers leur formation universitaire. S'ils ont dit qu'ils auraient aimé suivre un cours de trois crédits sur la grammaire, ils ne sont pas enclins «à participer aux formations gratuites demandant un engagement supplémentaire de leur part».
La grande question, c'est de savoir comment ces enseignants qui reconnaissent avoir de grandes lacunes ont pu accéder à la profession. «Nous devons remettre en question la capacité du TECFÉE [l'examen de français obligatoire soumis aux étudiants en enseignement] à agir comme filtre afin de s'assurer que tous les étudiants qui le réussissent ont vraiment le niveau de compétence scripturale nécessaire pour enseigner.»

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