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mercredi 29 février 2012

Mon plus beau cadeau.

Mon père, liseur invétéré, les bras accoudés sur son fauteuil, feuilletait le journal « La Presse ». Quand ce n’était pas le journal, c’était une revue de langue anglaise qu’il dévorait des yeux, ou encore un de ses livres traitant de mécanique, de science ou de psychologie. Et cela, sans compter les quelques romans, dont les livres empruntés régulièrement à la bibliothèque municipale, lesquels trônaient dans le meuble en bois de chêne vitré situé dans le salon, face aux trois fenêtres à guillotine. J’aimais bien le regarder, absorbé dans sa lecture. D’un esprit éveillé, papa savait toujours répondre avec assurance à nos questionnements. Ce n’est que plus tard que j’ai compris, que ses lectures assidues nourrissaient les réponses à nos nombreuses interrogations.

Ainsi, pour l’anniversaire de mes 8 ans, je n’ai pas été trop surpris de recevoir en cadeau une carte d’abonnement à la bibliothèque municipale. C’était sa façon de me dire que j’étais dorénavant assez grand pour l’accompagner lors de ses visites hebdomadaires dans ce haut lieu du savoir. La surprise en soi, venait plutôt du fait de recevoir un cadeau lors de cet évènement. En effet, mes parents ne pouvaient pas se permettre de nous offrir un cadeau autrement qu’à la fête de Noël. Probablement, était-il conscient à ce moment qu’à défaut de me transmettre des biens matériels qu’il n’avait pas les moyens de me donner, il me léguait ainsi la clé de ma liberté.

J’ai été longtemps un abonné assidu à la bibliothèque de la ville. Que de samedi après-midi ai-je passé en sa compagnie? Enfin, façon de dire, car en réalité nous faisions plus précisément route ensemble pour le trajet de l’allée et du retour. Mais arrivé à destination, il me laissait libre dans la section des étagères réservées aux enfants tandis qu’il s’appropriait les rayons destinés aux grandes personnes. Que d’heures de plaisir savourées à parcourir ces nombreuses tablettes en bois vernis défraîchis remplies à ras bord de livres usagés aux multiples gabarits! Quelle joie que de scruter ces livres, lesquels m’entraînaient tour à tour dans le monde de l’imaginaire des bandes dessinées du reporter Tintin et de son inséparable capitaine Haddock, de Martin le malin accompagné de son ami Florisse, ou encore de Jo, Zette et Jocko. Que de rêveries à parcourir les bouquins relatant les aventures des 4 As, de Bob Morane et de nombreux autres héros, encore. Chaque lecture permettant de m’identifier à ces héros de jeunesse qui m’ont fait vivre des aventures, la plupart du temps, rocambolesques, mais tellement captivantes.

Quels beaux moments que celui de vivre cette complicité avec un livre! Tantôt, moments de rêverie de mon enfance, qui me laissaient croire pour de brefs instants que je pouvais être fort comme Tarzan, rapide comme Surperman, ou rusé comme Hercule Poirot. Moments magiques d’aventures qui me transportaient dans des contrées lointaines et inexplorées. Ainsi, pour peu que l’on se laisse prendre au jeu par la prose de son auteur, nous pouvons découvrir à travers les péripéties de ses acteurs, toute la beauté des régions exotiques où évoluent les personnages colorés des histoires racontées. Quel lecteur n’a pas su imaginer la mystérieuse lande brumeuse de l’Écosse décrite dans un roman d’Agatha Christie ou encore, découvrir les paysages mythiques de la Chine traditionnelle relatés magnifiquement par l’auteure eurasienne Han Suyn.

Quelle délectation que de s’approprier un livre! Chaque livre étant différent en soi. Chacun ayant sa personnalité propre. On le rencontre quelques fois, gros, petit, mince, épais, et d’autres fois plus large, étroit, lourd, léger, nouveau ou ancien. Sa couverture reste unique. De couleur variée, la jaquette peut être souple ou rigide, cartonnée ou plastifiée, lisse ou rugueuse, et agrémentée d’une écriture imprimée en aplat, gravée ou bosselée. Et que dire de la puissance subtile de son odeur qui, à elle seule, peut nous faire revivre des souvenirs que l’on croyait perdus, enfouis à jamais dans notre mémoire? Car les livres ont du vécu qui se découvre par l’odorat. Prenez un livre dans vos mains et humez-le, tel un bon vin. Ouvrez l’ouvrage et faites ventiler doucement les pages entre votre pouce et votre index. Il s’y dégagera une odeur d’encre séchée nuancée en fonction du type de papier servant de support à l’écriture, du temps et du lieu de son entreposage. La souplesse de ses pages variera en fonction de la qualité du papier utilisé dans sa fabrication, et sa rigidité sera redevable à son âge ainsi qu’à l’humidité de l’air ambiant dans lequel il aura reposé.

Bien sûr, le livre n’est qu’un support en soi. Mais, il s’affirme comme témoin privilégié de l’accumulation du savoir du genre humain à travers les siècles. De même, bien avant sa démocratisation au XVe siècle à l’initiative de l’imprimerie de Gutenberg, le manuscrit agrémenté d’enluminure, confectionné à la main par les copistes du Moyen-âge, transmettait déjà les connaissances des textes anciens, des grammaires et des traités de sciences. On estime qu’en un peu plus de 50 ans tout près de vingt millions de livres avaient déjà été imprimés avant l’an 1500, et ce en plus de 30000 éditions. De ces livres, soixante-dix-sept pour cent étaient rédigés en latin et près de la moitié revêtaient un caractère religieux, influence de l’Église oblige. Tel que nous le connaissons, le livre a donc un peu moins de 600 ans d’âge.

 Tout dernièrement, les bouleversements sociétaux occasionnés par l’arrivée de l’ordinateur ont eu comme conséquence la mise en marché d’un nouveau support au format numérique qui semble s’implanter inexorablement dans notre vie de tous les jours. Cette nouvelle révolution technologique facilitera très certainement une plus large diffusion de nos connaissances et de l’information à l’ensemble des habitants de la Terre, notre nouveau Village global. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais ce média ne saura jamais remplacer le livre, de la même manière que le livre a rendu désuet, son ancêtre le codex, forme d’expression littéraire composée de pages reliées du IVe siècle. Car il faut bien le dire, le caractère technique, froid et impersonnel du format numérique, quoique convivial et indéniablement utile à notre civilisation, ne saura à jamais dégager autrement que mécaniquement cette chaleur ressentie de l’osmose viscérale entre le livre et son lecteur.

Et c’est très bien ainsi.


François langlois
Voici le texte original présenté au concours en 2011. Le concours limitant l'écriture à 600 mots maximum, le texte a été condensé.


Concours « J’ai quelque chose à dire ! » 


Catégorie « Grand public » 


Mention 


François Langlois


Mon plus beau cadeau

Pour l’anniversaire de mes 8 ans, j’ai été peu surpris de recevoir en cadeau une carte d’abonnement à la bibliothèque municipale. C’était la façon pour mon père de me dire que j’étais dorénavant assez grand pour l’accompagner lors de ses visites hebdomadaires dans ce haut lieu du savoir. J’ai été longtemps un abonné assidu à la bibliothèque de la ville. Que d’heures de plaisir savourées à parcourir ces livres aux multiples gabarits disposés sur les nombreuses tablettes en bois vernis! Chaque lecture me faisant vivre des aventures rocambolesques et tellement captivantes. 

Quels beaux moments que ceux de vivre cette complicité avec un livre ! Moments de rêverie de mon enfance, me laissant croire de brefs instants que je pouvais être fort comme Tarzan ou rusé comme Hercule Poirot. Moments magiques d’aventures qui me transportaient dans des contrées lointaines et inexplorées. Ainsi, pour peu que l’on se laisse prendre au jeu par la prose de son auteur, nous pouvons découvrir à travers les péripéties de ses acteurs, toute la beauté des régions exotiques où évoluent les personnages des histoires racontées. Quel lecteur n’a pas su imaginer la mystérieuse lande brumeuse de l’Écosse décrite dans un roman d’Agatha Christie ou encore, découvrir les paysages mythiques de la Chine traditionnelle relatés magnifiquement par l’auteure eurasienne Han Suyn! 

Quelle délectation que de s’approprier un livre ! Chaque livre étant différent en soi. Chacun ayant sa personnalité propre. On le retrouve quelques fois, gros, petit, mince, épais, et d’autres fois plus large, étroit, lourd, léger, nouveau ou ancien. Sa couverture reste unique. De couleur variée, la jaquette peut être souple ou rigide, cartonnée ou plastifiée, lisse ou rugueuse, agrémentée d’une écriture imprimée en aplat, gravée ou bosselée. Et que dire de la puissance subtile de son odeur qui, à elle seule, peut nous faire revivre des souvenirs que l’on croyait perdus, enfouis à jamais dans notre mémoire ? Car les livres ont du vécu qui se découvre par l’odorat. Prenez un livre dans vos mains et humez-le, tel un bon vin. Ouvrez l’ouvrage et faites ventiler doucement les pages entre votre pouce et l’index. Il s’y dégagera une odeur d’encre nuancée en fonction du type de papier servant de support à l’écriture, du temps et du lieu de son entreposage. La souplesse de ses pages changera en fonction de la qualité du papier utilisé dans sa fabrication, de son âge ainsi qu’à l’humidité de l’air ambiant dans lequel il aura reposé. 

Bien sûr, le livre n’est qu’un support en soi. Mais, il s’est affirmé à travers les siècles comme témoin privilégié de l’accumulation du savoir du genre humain. Tel que nous le connaissons, le livre a un peu moins de 600 ans d’âge. 

Tout dernièrement, les bouleversements sociétaux occasionnés par l’arrivée de l’ordinateur ont eu comme conséquence la mise en marché d’un nouveau support en format numérique qui semble s’implanter inexorablement dans notre vie de tous les jours. Cette nouvelle révolution technologique facilitera très certainement une plus large diffusion de nos connaissances et de l’information à l’ensemble des habitants de la Terre, notre nouveau village global. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais ce média ne pourra jamais remplacer le livre, tout comme le livre a rendu désuet son ancêtre le codex, forme d’expression littéraire composée de pages reliées du IVe siècle. Car il faut bien le dire, le caractère technique, froid et impersonnel du format numérique, quoique convivial et indéniablement utile à notre civilisation contemporaine, ne saura à jamais dégager autrement que mécaniquement la chaleur ressentie de l’osmose intime, quasi viscérale, entre le livre et son lecteur. 

Et c’est très bien ainsi.

mardi 21 février 2012

Cours d'éthique et de culture religieuse - Cour Suprême du Canada



COUR SUPRÊME DU CANADA

RÉférence
S.L. c. Commission scolaire des Chênes, 2012 CSC 7 DATE : 20120217

Entre
S.L. et D.J.

Appelants
et
Commission scolaire des Chênes et procureur général du Québe

Intimés

- et -

Christian Legal Fellowship, Association canadienne des libertés civiles,

Coalition pour la liberté en éducation, Alliance évangélique du Canada,

Regroupement Chrétien pour le droit parental en éducation, Conseil canadien

des oeuvres de charité chrétiennes, Fédération des commissions scolaires

du Québec et Association canadienne des commissaires d’écoles catholique

Intervenants
Coram:

La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish,

Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement:
(par. 1 à 43)

Motifs concordants:
(par. 44 à 59)

La juge Deschamps (avec l’accord de la juge en chef
McLachlin et des juges Binnie, Abella, Charron, Rothstein
et Cromwell)
Le juge LeBel (avec l’accord du juge Fish)
Note:

Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa
version définitive dans le
Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
S.L. c. COMMISSION SCOLAIRE DES CHÊNES
S.L. et D.J.
Appelants

c.

Commission scolaire des Chênes et
procureur général du Québec
Intimés

et
Christian Legal Fellowship,
Association canadienne des libertés civiles,
Coalition pour la liberté en éducation,
Alliance évangélique du Canada,
Regroupement Chrétien pour le droit parental en éducation,
Conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes,
Fédération des commissions scolaires du Québec et
Association canadienne des commissaires d’écoles catholiques
Intervenants

Répertorié : S.L.
c. Commission scolaire des Chênes
2012 CSC 7
No du greffe : 33678.

2011 : 18 mai; 2012 : 17 février.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish,
Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
EN APPEL DE LA COUR
D'APPEL DU QUÉBEC

Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté de religion —
Écoles — Programme d’éthique et de culture religieuse obligatoire — Fardeau à
l’étape de la preuve de l’atteinte au droit à la liberté de religion — Démonstration de
facteurs objectifs entravant le respect d’une pratique ou d’une croyance — Parents
croyant sincèrement en l’obligation de transmettre à leurs enfants les préceptes de la
religion catholique — Le programme d’éthique et de culture religieuse constituait-il,
objectivement, une entrave à leur capacité de transmettre leur foi à leurs enfants? —
Les parents ont-ils fait la preuve que le programme portait atteinte à leur liberté de
conscience et de religion que protège l’al. 2a) de la Charte canadienne des droits et
libertés? — Le refus de la commission scolaire d’exempter leurs enfants du cours
d’éthique et de culture religieuse contrevenait-il à leur droit constitutionnel?
Libertés publiques — Liberté de religion — Écoles — Programme
d’éthique et de culture religieuse obligatoire — Les parents ont-ils fait la preuve que
le programme portait atteinte à leur liberté de conscience et de religion que protège
l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12?
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Autorités scolaires —
Parents demandant à la commission scolaire d’exempter leurs enfants du cours
d’éthique et de culture religieuse afin d’éviter à ceux-ci un préjudice grave —
Demandes d’exemption refusées — La décision de la commission scolaire a-t-elle été
prise sous la dictée d’un tiers? — Loi sur l’instruction publique, L.R.Q., ch. I-13.3,
art. 222.

En 2008, le programme d’éthique et de culture religieuse (« ÉCR »)
devient obligatoire dans les écoles du Québec en remplacement des programmes
d’enseignement moral et religieux catholique et protestant. L et J demandent à la
commission scolaire d’exempter leurs enfants du cours ÉCR en invoquant l’existence
d’un préjudice grave pour ces derniers au sens de l’art. 222 de la

Loi sur l’instruction
publique

. La directrice du Service des ressources éducatives aux jeunes refuse les
exemptions. L et J demandent la révision de cette décision au conseil des
commissaires de la commission scolaire, qui la confirme. L et J s’adressent alors à la
Cour supérieure et sollicitent à la fois un jugement déclarant que le programme ÉCR
porte atteinte à leur droit à la liberté de conscience et de religion, ainsi qu’à celui de
leurs enfants, et la révision judiciaire des décisions refusant leurs demandes
d’exemption du cours ÉCR. Ils allèguent qu’elles ont été prises sous la dictée du
ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (« Ministère »). La Cour supérieure
rejette la requête en jugement déclaratoire et la demande de révision judiciaire. Saisie
de requêtes en rejet d’appel déposées par la commission scolaire et le procureur
général du Québec, la Cour d’appel refuse d’entendre l’appel de plein droit de L et J
et elle rejette également leur requête pour permission d’appeler.


Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Deschamps, Abella,
Charron, Rothstein et Cromwell : Si la sincérité de la croyance d’une personne en
l’obligation de se conformer à une pratique religieuse est pertinente pour établir que
son droit à la liberté de religion est en jeu, la preuve de l’atteinte à ce droit requiert,
elle, la démonstration de facteurs objectifs entravant le respect de cette pratique. Il ne
suffit pas que la personne déclare que ses droits sont enfreints. Il lui incombe de
prouver l’atteinte suivant la prépondérance des probabilités.
En l’espèce, L et J croient sincèrement avoir l’obligation de transmettre à
leurs enfants les préceptes de la religion catholique. La sincérité de leur croyance en
cette pratique n’est pas contestée. À l’étape de la preuve de l’atteinte, L et J devaient
démontrer que le programme ÉCR constituait, objectivement, une entrave à leur
capacité de transmettre leur foi à leurs enfants. À cet égard, ils prétendent que la
neutralité du programme ÉCR ne serait pas réelle et que le relativisme auquel seraient
exposés les élèves qui suivent le cours ÉCR entraverait leur capacité de transmettre
leur foi à leurs enfants. Ils objectent aussi que l’exposition des enfants à différents
faits religieux crée de la confusion chez ces derniers. Tout d’abord, il ressort de la
preuve que le but formel du Ministère ne paraît pas avoir été de transmettre une
philosophie fondée sur le relativisme ou d’influencer les croyances particulières des
jeunes. Le fait même d’exposer les enfants à une présentation globale de diverses
religions sans les obliger à y adhérer ne constitue pas un endoctrinement des élèves
qui porterait atteinte à la liberté de religion de L et J. De plus, l’exposition précoce
des enfants à des réalités autres que celles qu’ils vivent dans leur environnement
familial immédiat constitue un fait de la vie en société. Suggérer que le fait même
d’exposer des enfants à différents faits religieux porte atteinte à la liberté de religion
de ceux-ci ou de leurs parents revient à rejeter la réalité multiculturelle de la société
canadienne et méconnaître les obligations de l’État québécois en matière d’éducation
publique.
L et J n’ont pas fait la preuve que le programme ÉCR portait atteinte à
leur liberté de religion ni, par conséquent, que le refus de la commission scolaire
d’exempter leurs enfants du cours ÉCR contrevenait à leur droit constitutionnel. Ils
n’ont également démontré aucune erreur justifiant d’écarter la conclusion du juge de
première instance selon laquelle la décision de la commission scolaire n’avait pas été
prise sous la dictée d’un tiers.
Les juges LeBel et Fish : La violation alléguée par L et J de leur droit à la
liberté de religion portait sur les obligations des parents à l’égard de l’éducation
religieuse de leurs enfants et de la transmission de leur foi à ces derniers. Suivant la
grille d’analyse adoptée dans l’arrêt
Amselem, L et J devaient d’abord établir la
sincérité de leur croyance religieuse et, par la suite, l’atteinte que le programme ÉCR
apporterait à cet aspect de leur liberté de religion. Cette seconde partie de l’analyse
doit conserver un caractère objectif. Le seul fait d’affirmer leur désaccord avec le
programme et ses objectifs ne suffisait pas. La preuve présentée par L et J pour
établir la violation de leur liberté de religion consistait d’abord à affirmer leur foi et
leur conviction que le programme ÉCR portait atteinte à leur obligation d’enseigner et
de transmettre cette foi à leurs enfants. En outre, ils ont déposé le programme en
question ainsi qu’un manuel scolaire destiné à l’enseignement de ce programme.
Dans sa forme actuelle, le programme dit en réalité peu de chose sur le contenu
concret de l’enseignement et sur l’approche qui sera effectivement adoptée par les
enseignants dans leurs relations avec les élèves. Il ne détermine pas non plus le
contenu des manuels ou des autres ressources pédagogiques qui seront utilisés, ni leur
approche à l’égard des faits religieux ou des rapports entre les valeurs religieuses et
les choix éthiques ouverts aux étudiants. Le programme est composé d’énoncés
généraux, de diagrammes, de descriptions d’objectifs et de compétences à
développer, ainsi que de recommandations diverses sur son application. Il ne permet
guère d’apprécier quel effet entraînera réellement son application. Malgré le dépôt
d’un manuel scolaire, la preuve sur les méthodes et le contenu de l’enseignement,
comme sur son esprit, est restée schématique. La preuve documentaire ne permet

donc pas de conclure, suivant les normes de la preuve civile, à une violation de la
Charte canadienne ou de la Charte québécoise. Par ailleurs, l’état de la preuve ne
permet pas non plus de conclure que le programme ÉCR et sa mise en application ne
pourront éventuellement porter atteinte aux droits accordés à L et J et à des personnes
placées dans la même situation.
Jurisprudence



Citée par la juge Deschamps



Arrêts mentionnés :
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx


Le jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps,

Abella, Charron, Rothstein et Cromwell a été rendu par
LA JUGE DESCHAMPS

[1] Les changements sociaux qu’a connus le Canada depuis le milieu du

siècle dernier ont apporté avec eux une nouvelle philosophie sociale qui met de

l’avant la reconnaissance des droits des minorités. Les développements survenus dans

le domaine de l’éducation au Québec et dont il est question dans le présent pourvoi

s’insèrent dans ce contexte plus vaste. Compte tenu de la diversité religieuse du

Québec contemporain, l’État ne peut plus offrir dans les écoles publiques une vision

sociétale fondée sur les religions historiquement dominantes.

[2] Les appelants, S.L. et D.J., sont parents d’enfants d’âge scolaire. Ils

soutiennent que le refus de l’intimée, la Commission scolaire des Chênes

(« Commission scolaire »), d’exempter leurs enfants du cours d’éthique et de culture

religieuse (« ÉCR ») porte atteinte à leur liberté de conscience et de religion, que

protègent l’al. 2

a) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte
canadienne
») et l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch.



C-12 (la «

Charte québécoise »). Leurs prétentions ne peuvent être retenues. Si la



sincérité de la croyance d’une personne en l’obligation de se conformer à une

pratique religieuse est pertinente pour établir que son droit à la liberté de religion est

en jeu, la preuve de l’atteinte à ce droit requiert, elle, la démonstration de facteurs

objectifs entravant le respect de cette pratique. En l’espèce, vu les constatations de

fait du juge de première instance et la preuve au dossier concernant la neutralité du

programme ÉCR, je conclus que les appelants ont échoué dans cette démonstration. Il

n’y a donc pas lieu de déclarer que la Commission scolaire a erré en refusant

d’exempter leurs enfants du cours ÉCR. Par conséquent, je rejetterais l’appel avec

dépens.

I. Faits

[3] Le 12 mai 2008, les appelants demandent à la Commission scolaire

d’exempter leurs enfants du cours ÉCR. Ils invoquent l’existence d’un préjudice

grave pour ceux-ci, au sens du deuxième alinéa de l’art. 222 de la

Loi sur



l’instruction publique

, L.R.Q., ch. I-13.3.



[4] Le 20 mai 2008, la directrice du Service des ressources éducatives aux

jeunes refuse les exemptions. Le 26 mai 2008, les appelants demandent la révision de

cette décision au conseil des commissaires de la Commission scolaire. Le 25 juin

2008, après avoir tenu une audience au cours de laquelle les appelants font valoir leur

point de vue, le conseil des commissaires confirme la décision de la directrice. Les

appelants contestent alors les décisions du 20 mai et du 25 juin devant la Cour

supérieure, alléguant qu’elles ont été prises sous la dictée d’un tiers, le ministère de

l’Éducation, du Loisir et du Sport (« Ministère »). Ils sollicitent à la fois un jugement

déclarant que le programme ÉCR porte atteinte à leur droit à la liberté de conscience

et de religion ainsi qu’à celui de leurs enfants, et la révision judiciaire de la décision

de la directrice et de celle du conseil des commissaires refusant leurs demandes

d’exemption du cours ÉCR.

II. Décisions des juridictions inférieures

[5] Le juge Dubois de la Cour supérieure estime que les appelants n’ont pas

prouvé que le programme ÉCR porte atteinte à leur liberté de conscience et de

religion (2009 QCCS 3875, [2009] R.J.Q. 2398). Il conclut que le fait de présenter

objectivement diverses religions à l’enfant ne place pas celui-ci « devant une situation

obligatoire et coercitive » (par. 64 et 66). Il rejette la requête en jugement

déclaratoire. Vu sa conclusion suivant laquelle le programme ÉCR ne porte pas

atteinte à la liberté de conscience et de religion, le juge Dubois considère que la

décision de la Commission scolaire refusant les exemptions est bien fondée (par.

123). Par ailleurs, à la lumière de la preuve, il juge que les décideurs de la

Commission scolaire n’ont pas subi d’influence particulière du Ministère (par. 119).

Par conséquent, il rejette également la demande de révision judiciaire.

[6] Le rejet de la requête en jugement déclaratoire fait l’objet d’un appel de

plein droit devant la Cour d’appel. Les appelants demandent également à celle-ci la

permission d’appeler du jugement refusant la requête en révision judiciaire. Le

procureur général du Québec et la Commission scolaire présentent chacun une

requête demandant le rejet de l’appel de plein droit. Ils contestent aussi la demande de

permission d’appel. Pour les motifs qu’elle énonce dans

S.L. c. Commission scolaire des Chênes, la Cour d’appel accueille les requêtes en rejet d’appel,

rejette l’appel de plein droit et rejette également la requête pour permission d’appel (2010 QCCA 346



(CanLII); voir aussi 2010 QCCA 348 (CanLII) et 2010 QCCA 349 (CanLII)). Elle ne

voit aucune erreur dans l’analyse du juge Dubois et, au surplus, conclut que l’appel

est devenu théorique, étant donné que les deux enfants des appelants ne sont plus

assujettis à l’obligation de suivre le cours ÉCR.

[7] Les parties n’ont pas formulé d’observations au sujet de la grille

d’analyse qui s’applique compte tenu des choix procéduraux faits en l’espèce. Sur ce

point, je me contenterai de signaler qu’il est peu utile de multiplier les procédures et

que la façon dont les parties intitulent leurs procédures ne change pas la grille

d’analyse applicable (

Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1



R.C.S. 326).

III. Questions en litige

[8] En premier lieu, notre Cour doit décider si le juge de première instance a

commis une erreur en concluant que le refus de la Commission scolaire d’exempter

les enfants des appelants du cours ÉCR ne portait pas atteinte à la liberté de

conscience et de religion des appelants. Cette question exige de se demander si le

juge de première instance a commis une erreur en concluant que la preuve n’avait pas

été faite que le programme ÉCR lui-même portait atteinte à la liberté de religion des

appelants.

[9] En second lieu, notre Cour est appelée à décider si le juge de première

instance a eu tort de conclure que la décision de la Commission scolaire n’avait pas

été prise sous la dictée d’un tiers et si la Cour d’appel a commis une erreur de droit en

jugeant que l’appel était devenu théorique.

IV. Contexte

[10] La place de la religion dans la vie civile est source de débats publics

depuis les débuts des civilisations. La dissolution progressive des liens entre l’Église

et l’État au Canada s’inscrit dans un large mouvement de laïcisation des institutions

publiques dans les pays occidentaux (M. H. Ogilvie,

Religious Institutions and the



Law in Canada

(3e éd. 2010), p. 26 et 30; voir également Congrégation des témoins



de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village)

, 2004 CSC 48, [2004] 2



R.C.S. 650, par. 67-68, le juge LeBel). En effet, la neutralité religieuse est maintenant

perçue par de nombreux États occidentaux comme une façon légitime d’aménager un

espace de liberté dans lequel les citoyens de diverses croyances peuvent exercer leurs

droits individuels (voir J. Woehrling, « La place de la religion dans les écoles

publiques du Québec » (2007), 41

R.J.T. 651; D. Grimm, « Conflicts Between



General Laws and Religious Norms » (2009), 30

Cardozo L. Rev. 2369).



[11] Le portrait de la situation religieuse dans notre société est un facteur

incontournable dans l’adoption d’une politique de neutralité, et ce, non seulement au

Québec, mais aussi ailleurs au Canada. En raison du phénomène de la mondialisation

des échanges et de l’accroissement de la mobilité individuelle, la diversité des

croyances religieuses a considérablement augmenté au Canada au cours des dernières

décennies. En effet, le Recensement du Canada de 2001 faisait état d’environ 95

groupes religieux suffisamment importants pour être considérés comme des

institutions religieuses distinctes aux fins de consignation des données. En outre, plus

de 23 p. 100 des Canadiens se déclaraient de foi non chrétienne ou ne déclaraient

aucune identité religieuse (Ogilvie, p. 55-56).

[12] La création du Ministère en 1964 a marqué la prise en charge par l’État

québécois de l’instruction publique, domaine qui était jusque-là dominé par les

communautés religieuses. Le 5 février 1964, dans la foulée du

Rapport Parent



(1963) qui recommandait d’augmenter les investissements publics en éducation,

l’Assemblée législative adopte la

Loi instituant le ministère de l’éducation et le



Conseil supérieur de l’éducation

, S.Q. 1963-64, ch. 15. Pendant les 30 premières



années d’existence de ce ministère, le régime des écoles confessionnelles continue de

prévaloir. Le 12 avril 1995, le gouvernement du Québec crée la Commission des

États généraux sur l’éducation (Décret 511-95, (1995) 127 G.O.Q. II, 1960). Les

membres de cette commission recommandent une vaste révision des programmes

d’enseignement. En 1997, l’ajout de l’art. 93A à la

Loi constitutionnelle de 1867 rend



possible l’abolition au Québec des commissions scolaires confessionnelles et la

réorganisation, sur une base linguistique, du réseau québécois des commissions

scolaires (

Modification constitutionnelle de 1997 (Québec), TR/97-141).



[13] Dans une déclaration ministérielle datée du 26 mars 1997, la ministre de

l’Éducation explique l’approche que le gouvernement du Québec propose d’adopter

pour permettre à l’école publique de répondre aux attentes des Québécois :

Il convient, premièrement, de gérer ces demandes dans la perspective

d’une société pluraliste ouverte. La diversité du paysage socioreligieux

éclate partout au Québec. L’école publique se doit donc de respecter le

libre choix ou le libre refus de la religion, cela fait partie des libertés

démocratiques. C’est dire que toute école doit assurer la liberté de

conscience de chaque individu, fût-il seul devant la majorité, et apprendre

aux jeunes à vivre dans le respect des allégeances diverses. Pour autant,

l’école n’a pas à devenir réfractaire à tout propos sur la religion. Elle doit

se montrer ouverte, capable d’accueillir, par delà les convictions

particulières et dans un esprit critique, ce que les religions peuvent

apporter en fait de culture, de morale et d’humanisme.

(Assemblée nationale,

Journal des débats, 2e sess., 35e lég., 26 mars



1997, p. 5993)

[14] La ministre fait état du besoin de mener une réflexion plus poussée sur les

aménagements nécessaires pour que les cours offerts aux élèves tiennent compte de la

diversité religieuse :

Enfin, dans le contexte d’une société pluraliste, serait-il souhaitable que

tous les élèves reçoivent une certaine formation au sujet du phénomène

religieux, des cours de culture religieuse intégrant les diverses grandes

traditions, des cours d’histoire des religions? J’entends soumettre ces

questions à un groupe de travail dont l’avis serait référé à la commission

de l’éducation de l’Assemblée nationale, qui pourrait alors entendre

l’ensemble des groupes qu’intéresse cette question.

(Assemblée nationale,

Journal des débats, 2e sess., 35e lég., 26 mars



1997, p. 5994)

[15] En 1999, le Groupe de travail sur la place de la religion à l’école dépose

son rapport (

Laïcité et religions : Perspective nouvelle pour l’école québécoise). Le



groupe recommande notamment que soient donnés, dans les écoles, un enseignement

culturel des religions en sus d’un enseignement moral. En 2000, le ministre de

l’Éducation annonce la mise en place des aménagements requis pour répondre à la

diversité des attentes morales et religieuses de la population. La même année, une

première modification législative marquant le début du processus de

déconfessionnalisation est adoptée (

Loi modifiant diverses dispositions législatives



dans le secteur de l’éducation concernant la confessionnalité

, L.Q. 2000, ch. 24).



[16] En 2005, le ministre de l’Éducation publie un document d’orientation qui

précise les principes sur lesquels devra être établi le programme ÉCR (

La mise en



place d’un programme d’éthique et de culture religieuse : Une orientation d’avenir

pour tous les jeunes du Québec

). Le 15 juin 2005, la Loi modifiant diverses



dispositions législatives de nature confessionnelle dans le domaine de l’éducation

,



L.Q. 2005, ch. 20, est adoptée. Cette loi permettait notamment aux écoles de

remplacer, à certaines conditions, les programmes d’enseignement moral et religieux

catholique et protestant. Ainsi, le programme ÉCR a été mis en place de façon

graduelle pour devenir obligatoire à compter de la rentrée scolaire 2008. En mai

2008, les appelants ont déposé leurs demandes d’exemption.

V. Principes applicables

[17] Le contexte historique, politique et social de la fin du XX

e siècle,



l’adoption des

Chartes québécoise et canadienne et l’interprétation de la liberté de



religion par les tribunaux canadiens ont joué un rôle important dans la décision de

l’État québécois de demeurer neutre en matière religieuse. S’il est vrai que, à la

différence de la Constitution américaine, la

Charte canadienne ne limite pas



explicitement l’appui que l’État peut apporter à une religion, les cours canadiennes

ont néanmoins jugé que le parrainage par l’État d’une tradition religieuse est

discriminatoire à l’égard des autres.

[18] Dans l’arrêt

R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, notre Cour



a déclaré que la

Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, ch. L-13, qui avait pour objet



reconnu de rendre obligatoire l’observance religieuse le dimanche, portait atteinte à la

liberté de religion des non-chrétiens. Le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a

conclu que « protéger une religion sans accorder la même protection aux autres

religions a pour effet de créer une inégalité destructrice de la liberté de religion dans

la société » (p. 337). Peu après, la Cour a de nouveau été saisie de la question de la

neutralité de l’État dans

R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713. Si,



de l’avis de la majorité, le choix du dimanche comme jour de repos empiétait

sensiblement sur la liberté de religion de ceux qui observent un jour de repos le

samedi pour des motifs religieux, la loi était cependant justifiable en ce qu’elle

constituait une limite raisonnable au sens de l’article premier de la

Charte



canadienne

. Une majorité des juges de la Cour estimait que l’objet de la Loi sur les



jours fériés dans le commerce de détail

, L.R.O. 1980, ch. 453, était valide en raison



de sa dimension laïque : « Le titre et le texte de la Loi, les débats de l’Assemblée

législative et le

Report on Sunday Observance Legislation (1970), de la Commission



de réforme du droit de l’Ontario, font tous ressortir les objets d’ordre laïque qui soustendent

la Loi » (p. 744).

[19] Dans deux arrêts importants rendus dans les années qui ont suivi, la Cour

d’appel de l’Ontario insiste également sur l’importance pour l’État de demeurer

neutre en matière religieuse. Dans

Zylberberg c. Sudbury Board of Education



(Director)

(1988), 65 O.R. (2d) 641, elle a annulé à la majorité un règlement pris en



vertu de la

Loi sur l’éducation, L.R.O. 1980, ch. 129, qui rendait obligatoire, sous



réserve d’exemptions, la récitation de prières chrétiennes dans les écoles publiques (p.

654) :

[

TRADUCTION] À première vue, [le règlement] contrevient à la liberté



de conscience et de religion garantie par l’al. 2

a) de la Charte. [. . .] La



récitation du Notre Père, prière chrétienne, et la lecture des Saintes

Écritures dans la bible chrétienne imposent des pratiques chrétiennes aux

élèves non chrétiens ainsi que des rites religieux à des non-croyants.

[20] Dans

Canadian Civil Liberties Assn. c. Ontario (Minister of Education)



(1990), 71 O.R. (2d) 341, un règlement prescrivant l’inclusion de périodes

d’enseignement religieux dans le programme d’études des écoles publiques a été

examiné par la Cour d’appel de l’Ontario. À l’unanimité, celle-ci a jugé que ce

règlement avait pour objet et pour effet de permettre l’endoctrinement religieux, ce

que la

Charte canadienne n’autorise pas. Un tel endoctrinement n’a pas de lien



rationnel avec l’objectif éducatif consistant à inculquer des normes morales

appropriées aux élèves d’une école primaire. La Cour d’appel a fait remarquer qu’un

programme qui prodiguerait un enseignement religieux et moral sans toutefois tendre

à endoctriner dans une foi particulière n’enfreindrait pas la

Charte canadienne (p.



344).

[21] Le développement du concept de neutralité religieuse de l’État dans la

jurisprudence canadienne va de pair avec une sensibilité croissante à la composition

multiculturelle du Canada et avec la protection des minorités. Déjà, dans

Big M Drug



Mart

, le juge Dickson avait déclaré ceci : « . . . étant donné la diversité des formes



que prennent la croyance et l’incroyance ainsi que les différences socio-culturelles

des Canadiens, le Parlement fédéral n’a pas compétence en vertu de la Constitution

pour adopter une loi privilégiant une religion au détriment d’une autre » (p. 351). De

même, dans

Canadian Civil Liberties Assn., la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que



le fait d’imposer une pratique religieuse de la majorité avait pour effet d’enfreindre la

liberté de religion de la minorité et était incompatible avec la réalité multiculturelle de

la société canadienne (par. 363).

[22] Cela dit, c’est dans l’arrêt

Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47,



[2004] 2 R.C.S. 551, qu’ont été posés les jalons de la définition de la liberté de

religion. Le juge Iacobucci y explique qu’une personne n’a pas à démontrer que la

pratique qu’elle se croit sincèrement obligée de suivre ou la croyance qu’elle fait

valoir correspond à un précepte religieux reconnu par les autres adeptes. Si cette

personne croit être tenue de se conformer à une pratique ou si elle fait valoir une

croyance « ayant un lien avec une religion », le tribunal doit se limiter à évaluer la

sincérité de cette croyance (par. 39, 43, 46 et 54).

[23] À l’étape de la preuve de l’atteinte, cependant, il ne suffit pas que la

personne déclare que ses droits sont enfreints. Il lui incombe de prouver l’atteinte

suivant la prépondérance des probabilités. Cette preuve peut certes prendre toutes les

formes reconnues par la loi, mais elle doit néanmoins reposer sur des faits

objectivement démontrables. Par exemple, dans

Edwards Books, la loi obligeait les



détaillants qui observaient le samedi à fermer un jour de plus que ceux qui

observaient le dimanche. Dans

Amselem, l’atteinte résultait d’une interdiction



d’ériger toute construction sur les balcons d’un immeuble détenu en copropriété alors

que les appelants croyaient que leur religion les obligeait à habiter leur propre

souccah.

[24] Il s’ensuit que, dans l’examen d’une atteinte à la liberté de religion, la

question n’est pas de savoir si la personne croit sincèrement qu’il y a une atteinte à sa

pratique ou croyance religieuse, mais celle de savoir s’il existe une pratique ou

croyance religieuse à laquelle il est porté atteinte. La partie subjective de l’analyse

concerne uniquement l’établissement d’une croyance sincère ayant un lien avec la

religion, incluant la croyance en une obligation de se conformer à une pratique

religieuse. Comme pour tous les autres droits et libertés protégés par la

Charte



canadienne

et la Charte québécoise, la preuve de l’atteinte requiert une analyse



objective des règles, faits ou actes qui en entravent l’exercice. Décider autrement

aurait pour effet de permettre à la personne de conclure elle-même à l’existence d’une

atteinte à ses droits et de se substituer ainsi au tribunal dans ce rôle.

[25] Il convient de rappeler de plus les propos de la juge Wilson dans l’arrêt

R.



c. Jones

, [1986] 2 R.C.S. 284, p. 314, repris par le juge Iacobucci dans Amselem, par.



58 : l’al. 2

a) de la Charte canadienne « n’oblige pas le législateur à n’entraver



d’aucune manière la pratique religieuse » (soulignement omis; voir aussi

Edwards



Books

). « La protection ultime accordée par un droit garanti par la Charte doit être



mesurée par rapport aux autres droits et au regard du contexte sous-jacent dans lequel

s’inscrit le conflit apparent » (

Amselem, par. 62). Aucun droit n’est absolu.



VI. Application

[26] Les appelants croient sincèrement avoir l’obligation de transmettre à leurs

enfants les préceptes de la religion catholique (m.a., par. 66). La sincérité de la

croyance des appelants en cette pratique n’est, en l’espèce, pas contestée par les

intimés. La seule question en litige consiste donc à se demander s’il y a eu ou non

atteinte à la capacité des appelants de se conformer à cette pratique.

[27] Pour s’acquitter de leur fardeau à l’étape de la preuve de l’atteinte, les

appelants devaient démontrer que le programme ÉCR constituait, objectivement, une

entrave à leur capacité de transmettre leur foi à leurs enfants. Ce n’est pas l’approche

qu’ils ont adoptée. Ils ont plutôt prétendu qu’il leur suffisait d’affirmer que le

programme portait atteinte à leur droit (m.a., par. 126). Comme je l’ai expliqué cidessus,

l’affirmation des appelants que des motifs religieux sont à l’origine de leur

objection à la participation de leurs enfants au cours ÉCR ne suffit pas. C’est donc à

bon droit que le juge Dubois de la Cour supérieure a rejeté cette interprétation. Il s’est

exprimé ainsi : « Il n’est pas tout de dire avec sincérité qu’on est catholique

pratiquant pour prétendre qu’une présentation globale de différentes religions puisse

nuire à celle que l’on pratique (par. 51). »

[28] Dans leurs demandes d’exemption soumises le 12 mai 2008 à la

Commission scolaire, les appelants avaient allégué que les préjudices suivants étaient

susceptibles d’être causés par le cours ÉCR :

1. Perte du droit de choisir une éducation conforme à ses

propres principes moraux et religieux; brimer les libertés

fondamentales de religion, de conscience, d’opinion et

d’expression de l’enfant et de ses parents en forçant

l’enfant à suivre un cours qui ne correspond pas aux

convictions religieuses et philosophiques dans lesquelles

ses parents ont le droit et le devoir de l’éduquer.

2. Être mis en situation d’apprentissage par un enseignant non

adéquatement formé en cette matière et qui a été dépouillé

de sa liberté de conscience, parce qu’on l’oblige à effectuer

cette tâche.

3. Perturber l’enfant en l’exposant trop jeune à des

convictions et croyances différentes de celles privilégiées

par ses parents.

4. Aborder le phénomène religieux dans le cadre d’un cours

qui prétend à la « neutralité ».

5. Être exposé, dans le cadre de ce cours obligatoire, au

courant philosophique mis de l’avant par l’État : le

relativisme.

6. Porter atteinte à la foi de l’enfant. [d.a., vol. III, p. 499-500]

[29] L’argument principal qui ressort des motifs invoqués par les appelants

dans leurs demandes d’exemption est l’existence d’une entrave au respect de

l’obligation qu’ils estiment avoir, soit celle de transmettre leur foi à leurs enfants. À

cet égard, la liberté de religion que les appelants font valoir est la leur, non celle des

enfants. Les objections des appelants reposent sur un thème commun, à savoir que la

neutralité du programme ÉCR ne serait pas réelle. Selon les appelants, le relativisme

auquel seraient exposés les élèves qui suivent le cours ÉCR entraverait leur capacité

de transmettre leur foi à leurs enfants. Dans la mesure où certains des griefs des

appelants mettent de l’avant la liberté de religion des enfants, en évoquant la

« perturbation » résultant de l’exposition à différents faits religieux, j’en traiterai au

sein de mon analyse de l’atteinte alléguée à la liberté de religion des appelants.

[30] Il faut reconnaître que la recherche de la neutralité religieuse dans la

sphère publique constitue un défi important pour l’État. L’auteur R. Moon a bien

exprimé la difficulté que pose la mise en oeuvre d’une politique législative qui serait

considérée par tous comme étant neutre et respectueuse de leur liberté de religion :

[

TRADUCTION] Si la laïcisation ou l’agnosticisme constitue une position,



une vision du monde ou une identité culturelle équivalente à une

appartenance religieuse, ses adeptes pourraient se sentir exclus ou

marginalisés au sein d’un État qui appuie les pratiques religieuses, même

les moins confessionnelles. Par ailleurs, il est possible que les croyants

interprètent le retrait intégral de toute religion de la sphère publique

comme le rejet de leur vision du monde et l’affirmation d’une perspective

laïque . . .

. . .

. . . Ainsi, de manière ironique, alors que la religion se retire de plus en

plus de la place publique au nom de la liberté et de l’égalité religieuses, la

laïcité paraît moins neutre et plus partisane. Compte tenu de la croissance

de l’agnosticisme et de l’athéisme, la neutralité religieuse dans la sphère

publique est peut-être devenue impossible. Ce que certains considèrent

comme le terrain neutre essentiel à la liberté de religion et de conscience

constitue pour d’autres une perspective antispiritualiste partisane.

(“Government Support for Religious Practice”, dans

Law and Religious



Pluralism in Canada

(2008), 217, p. 231.)



[31] Il faut aussi accepter que, d’un point de vue philosophique, la neutralité

absolue n’existe pas. Quoi qu’il en soit, l’absolu est une notion dont s’accommode

difficilement le droit. En droit administratif, par exemple, la notion d’impartialité fait

appel à une évaluation qui tient compte du contexte et de l’intervention d’acteurs

humains (

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2



R.C.S. 817, par. 47). Par ailleurs, dans l’analyse des atteintes aux droits protégés par

les chartes, notre Cour a maintes fois répété qu’aucun droit n’est absolu (

Thomson



Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur

les pratiques restrictives du commerce)

, [1990] 1 R.C.S. 425, p. 596. « Il en est ainsi



parce que nous vivons dans une société où chacun doit toujours tenir compte des

droits d’autrui » (

Amselem, par. 61).



[32] Par conséquent, suivant une approche réaliste et non absolutiste, la

neutralité de l’État est assurée lorsque celui-ci ne favorise ni ne défavorise aucune

conviction religieuse; en d’autres termes, lorsqu’il respecte toutes les positions à

l’égard de la religion, y compris celle de n’en avoir aucune, tout en prenant en

considération les droits constitutionnels concurrents des personnes affectées.

[33] Il convient de rappeler que les critiques formulées par les appelants ne

peuvent concerner la façon dont le cours a été donné à leurs enfants, puisque ces

derniers ne l’ont jamais suivi. Le juge de première instance s’est limité à l’examen du

programme.

[34] Le programme ÉCR comprend deux volets : une formation sur l’éthique

et une formation sur la culture religieuse. Le but du programme est présenté dans le

préambule commun des documents intitulés « Éthique et culture religieuse », préparés

par le Ministère pour le primaire et le secondaire :

Dans ce programme, la formation en éthique vise l’approfondissement de

questions éthiques permettant à l’élève de faire des choix judicieux basés

sur la connaissance des valeurs et des repères présents dans la société.

Elle n’a pas pour objectif de proposer ou d’imposer des règles morales, ni

d’étudier de manière encyclopédique des doctrines et des systèmes

philosophiques.

Pour ce qui est de la formation en culture religieuse, elle vise la

compréhension de plusieurs traditions religieuses dont l’influence s’est

exercée et s’exerce toujours dans notre société. Sur ce chapitre, un regard

privilégié est porté sur le patrimoine religieux du Québec. L’importance

historique et culturelle du catholicisme et du protestantisme y est

particulièrement soulignée. Il ne s’agit ni d’accompagner la quête

spirituelle des élèves, ni de présenter l’histoire des doctrines et des

religions, ni de promouvoir quelque nouvelle doctrine religieuse

commune destinée à remplacer les croyances particulières.

[35] Le but formel du Ministère ne paraît donc pas avoir été de transmettre une

philosophie fondée sur le relativisme ou d’influencer les croyances particulières des

jeunes.

[36] Sur le programme lui-même, le juge Dubois a revu la preuve

documentaire, entendu les témoins et tiré les conclusions suivantes (par. 68-69) :

En regard du nouveau programme, l’école va présenter l’éventail des

diverses religions et va amener les enfants à dialoguer sur la

reconnaissance de soi et le bien commun. Par la suite, le travail

additionnel pour la pratique religieuse revient donc aux parents et aux

pasteurs de l’Église à laquelle ont adhéré les parents et les enfants.

À la lumière de toute la preuve présentée, le tribunal ne voit pas

comment le cours ECR brime la liberté de conscience et de religion des

demandeurs pour les enfants, alors que l’on fait une présentation globale

de diverses religions sans obliger les enfants à y adhérer.

[37] Mon examen du dossier n’a révélé aucune erreur dans cette évaluation du

juge de première instance. À la suite de l’adoption de sa politique de neutralité, l’État

québécois ne peut établir un système d’éducation qui favoriserait ou défavoriserait

une religion donnée ou une vision particulière de la religion. C’est cependant à lui

qu’il appartient de choisir, à l’intérieur de son cadre constitutionnel, les programmes

d’éducation. En tenant compte de ce contexte, je ne peux conclure que le fait même

d’exposer les enfants à « une présentation globale de diverses religions sans [les]

obliger [. . .] à y adhérer » constitue un endoctrinement des élèves qui porterait

atteinte à la liberté de religion des appelants.

[38] Les appelants objectent aussi que l’exposition des enfants à différents

faits religieux crée de la confusion chez ces derniers. La confusion ou le « vide »

résulterait de la présentation, sur un pied d’égalité, de croyances différentes.

[39] Dans l’arrêt

Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86,



[2002] 4 R.C.S. 710, la Cour a eu l’occasion de se prononcer sur les dissonances

cognitives que peuvent vivre les enfants qui grandissent dans une société diversifiée.

La Juge en chef y a fait les commentaires suivants (par. 65-66) :

En tant que membres d’un corps scolaire hétérogène, les enfants y sont

exposés tous les jours [à certaines dissonances cognitives] dans le

système d’enseignement public. À l’heure des repas, ils voient leurs

camarades de classe, et peut-être aussi leurs professeurs, manger des

aliments qui leur sont interdits, que ce soit en raison des restrictions

religieuses de leurs parents ou d’autres croyances morales. Ils voient leurs

camarades porter des vêtements dont leurs parents désapprouvent les

caractéristiques ou les marques. Et ils sont également témoins, dans la

cour d’école, de comportements que leurs parents désapprouvent. La

dissonance cognitive qui en résulte fait simplement partie de la vie dans

une société diversifiée. Elle est également inhérente au processus de

croissance. C’est à la faveur de telles expériences que les enfants se

rendent compte que tous ne partagent pas les mêmes valeurs.

On peut soutenir que l’exposition à certaines dissonances cognitives

est nécessaire pour que les enfants apprennent ce qu’est la tolérance.

[40] Les parents qui le désirent sont libres de transmettre à leurs enfants leurs

croyances personnelles. Cependant, l’exposition précoce des enfants à des réalités

autres que celles qu’ils vivent dans leur environnement familial immédiat constitue

un fait de la vie en société. Suggérer que le fait même d’exposer des enfants à

différents faits religieux porte atteinte à la liberté de religion de ceux-ci ou de leurs

parents revient à rejeter la réalité multiculturelle de la société canadienne et

méconnaître les obligations de l’État québécois en matière d’éducation publique. Bien

qu’une telle exposition puisse être source de frictions, elle ne constitue pas en soi une

atteinte à l’al. 2

a) de la Charte canadienne et à l’art. 3 de la Charte québécoise.



[41] Les appelants n’ont pas fait la preuve que le programme ÉCR portait

atteinte à leur liberté de religion. Par conséquent, le juge de première instance n’a pas

commis d’erreur en concluant que le refus de la Commission scolaire d’exempter

leurs enfants du cours ÉCR ne contrevenait pas à leur droit constitutionnel.

[42] Par ailleurs, les appelants n’ont démontré aucune erreur justifiant

d’écarter la conclusion du juge de première instance selon laquelle la décision de la

Commission scolaire n’avait pas été prise sous la dictée d’un tiers. Pour ce qui est de

la décision de la Cour d’appel rejetant le pourvoi en raison de son caractère théorique,

il suffit de mentionner que la question soumise à notre Cour était importante et

justifiait que celle-ci entende le pourvoi, même si les enfants des appelants n’étaient

plus assujettis à l’obligation de suivre le cours ÉCR.

[43] La Cour d’appel a donc eu raison de confirmer les conclusions de la Cour

supérieure. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté avec dépens.

Les motifs des juges LeBel et Fish ont été rendus par

L

E JUGE LEBEL : —



I. Introduction

[44] Ce pourvoi soulève une fois de plus les difficultés souvent graves que

provoque l’évolution des rapports entre les religions, leurs membres et la société

ambiante dans laquelle ces religions coexistent. Les problèmes dont la Cour est saisie

résultent de la déconfessionnalisation récente des réseaux d’enseignement public au

Québec et de la mise en oeuvre par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport

du Québec, en 2008, d’un programme d’éthique et de culture religieuse (« programme

ÉCR ») qui fait désormais partie des programmes d’enseignement obligatoires au

primaire et au secondaire. La mise en application de ce programme souligne à

nouveau la persistance du problème de l’établissement d’un rapport approprié entre la

neutralité religieuse d’un état démocratique moderne et les convictions religieuses

profondes de membres souvent minoritaires de la société québécoise. Dans ce

contexte et vu les faiblesses propres au dossier particulier que notre Cour doit

examiner, je conclurai comme ma collègue, la juge Deschamps, au rejet du pourvoi.

Cependant, je n’entends pas pour autant confirmer définitivement la validité

constitutionnelle du programme ÉCR, ni, surtout, de son application particulière dans

la vie quotidienne du système d’éducation. Je ferai donc certaines observations à ce

sujet dans les motifs qui suivent.

II. L’origine de la contestation et ses particularités

[45] La manière dont ce débat judiciaire s’est engagé n’a pas facilité l’examen

et la solution des problèmes juridiques soulevés par les parties. Comme l’expose la

juge Deschamps dans ses motifs, les appelants ont jumelé dans une même procédure

deux demandes différentes. Dans la première, une demande de contrôle judiciaire, ils

recherchaient l’annulation du refus de leur demande d’exemption du programme

ÉCR, présentée en vertu de l’art. 222 de la

Loi sur l’instruction publique, L.R.Q.,



ch. I-13.3 en faveur de leurs enfants. Dans la seconde, de nature déclaratoire, ils

réclamaient que la Cour supérieure constate que le programme ÉCR violait leur droit

constitutionnel à la protection de la liberté de conscience et de religion, ainsi que

celui de leurs enfants. De plus, cette contestation a été entreprise fort peu de temps

après la mise en application du nouveau programme. Cette précipitation ne permettait

guère d’évaluer les effets concrets de la mise en oeuvre du programme au-delà du seul

cadre pédagogique qu’il établissait. Cet état de choses a affecté le contenu et la

qualité de la preuve.

[46] Je ne reviendrai pas sur la demande de contrôle judiciaire proprement

dite. Les constatations de faits de la Cour supérieure ne permettent pas de soutenir le

moyen selon lequel la décision refusant d’exempter les enfants des appelants du

programme ÉCR aurait été nulle parce qu’elle aurait été prise sous la dictée d’un tiers

(2009 QCCS 3875, [2009] R.J.Q. 2398). Mes commentaires porteront seulement sur

le volet déclaratoire de la demande, c’est-à-dire sur l’allégation de violation de la

liberté de religion des appelants et de leurs enfants.

III. L’allégation de violation de la liberté de religion et la méthode d’analyse adoptée

par la Cour supérieure

[47] Les appelants n’ont pas sollicité l’annulation du programme ÉCR. Ils ont

plutôt demandé au tribunal de constater que le refus d’en exempter leurs enfants

portait atteinte à la liberté de conscience et de religion que protège l’al. 2

a) de la



Charte canadienne des droits et libertés

(la « Charte canadienne »). Ils invoquent



aussi l’art. 3 de la

Charte des droits et libertés de la personne du Québec (la « Charte



québécoise

»), L.R.Q., ch. C-12. Ils se définissent comme catholiques et affirment



pratiquer leur religion. Selon eux, celle-ci leur impose l’obligation d’assurer la

transmission de leur foi à leurs enfants. En substance, disent-ils, le caractère

obligatoire du programme porterait atteinte à cette liberté de religion. D’abord, il

prônerait une vision relativiste des religions. Ensuite, il exprimerait l’idée que les

valeurs religieuses ne forment pas une base sûre pour prendre des décisions éthiques.

Finalement, il tendrait à créer un vide moral chez les enfants en les obligeant à mettre

de côté leurs valeurs religieuses lorsqu’ils discutent de questions éthiques en classe.

[48] Avec égards pour le juge de première instance, je ne suis pas convaincu

qu’il ait respecté la grille d’analyse qu’a établie notre Cour, d’abord à l’occasion d’un

débat sur l’application de l’art. 3 de la

Charte québécoise, dans l’arrêt Syndicat



Northcrest c. Amselem

, 2004 CSC 47, [2004] 2 R.C.S. 551. Deux jugements



subséquents de notre Cour ont appliqué cette méthode d’analyse à des problèmes de

mise en oeuvre de l’al. 2

a) de la Charte canadienne (Multani c. Commission scolaire



Marguerite-Bourgeoys

, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256, par. 34; Alberta c.



Hutterian Brethren of Wilson Colony

, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 32).



[49] Selon l’approche adoptée par notre Cour dans l’arrêt

Amselem, le



demandeur doit d’abord établir la sincérité de sa croyance dans une doctrine, une

pratique ou une obligation religieuse. Dans ce domaine, le tribunal ne sonde pas les

âmes ou les consciences et ne cherche pas à se transformer en théologien. Il vérifie la

présence d’une croyance subjective et sincère (par. 42-43). Par la suite, il détermine si

le demandeur a établi que les actes de l’État portent atteinte de manière appréciable à

cette croyance (par. 58-60). Cette seconde partie de l’analyse doit conserver un

caractère objectif.

[50] En l’espèce, l’allégation de violation de la liberté de religion portait sur

un aspect spécifique de celle-ci, les obligations des parents à l’égard de l’éducation

religieuse de leurs enfants et de la transmission de leur foi à ces derniers. Le droit des

parents d’éduquer leurs enfants dans leur foi fait partie de la liberté de religion

garantie par la

Charte canadienne (B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan



Toronto

, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 105, le juge La Forest). Suivant la grille d’analyse



adoptée dans l’arrêt

Amselem, les appelants devaient établir la sincérité de leur



croyance religieuse et l’atteinte que le programme ÉCR apporterait à cet aspect de

leur liberté de religion.

[51] Dans la présente affaire, la Cour supérieure a transformé le débat en un

litige sur le caractère erroné de la croyance des parents. Le premier juge a reconnu

que ceux-ci étaient catholiques et qu’ils croyaient avoir l’obligation de transmettre

leur foi à leurs enfants. Parvenu à cette étape, il ne s’est pas interrogé sur le contenu

du programme ni sur ses effets sur la croyance alléguée. En substance, le premier juge

a plutôt décidé que les parents en cause avaient tort de croire que les objectifs du

programme nuisaient à l’exécution de leurs obligations religieuses envers leurs

enfants. Il s’est basé principalement sur l’opinion d’un théologien cité comme expert

par les intimés et sur le fait que l’Assemblée des évêques catholiques du Québec ne

s’opposait pas aux objectifs du programme ÉCR.

[52] Il lui aurait fallu tenter de se pencher de manière plus concrète sur le

contenu du programme et sur les conséquences que lui imputaient à tort ou à raison

les appelants à l’égard de l’exécution de leurs obligations religieuses. À cette étape de

l’analyse constitutionnelle, il est indéniable que le fardeau de la preuve reposait sur

ces derniers. Le seul fait d’affirmer leur désaccord avec le programme et ses objectifs

ne suffisait pas. Malgré sa sincérité, leur opinion selon laquelle un relativisme moral

fondamental constitue la caractéristique essentielle de ce programme n’est pas

suffisante pour établir une violation de la

Charte canadienne ou de la Charte



québécoise

. On doit donc vérifier si la preuve d’une telle violation a été faite.



IV. Le problème de la preuve de la violation de la liberté de religion

[53] Nous nous heurtons ici à l’une des difficultés que pose la présente

instance pour ce qui est de l’évaluation de la conformité du programme ÉCR aux

obligations constitutionnelles de la province de Québec en matière de liberté de

religion. D’une part, la seule perception subjective des appelants au sujet de l’impact

du programme ne permet pas de conclure à une violation des deux chartes

. D’autre



part, la conception du programme et la teneur du cadre pédagogique et administratif

ne facilitent pas l’évaluation des conséquences concrètes du programme dans la vie

quotidienne au sein du réseau scolaire public du Québec. En d’autres mots, s’agit-il

d’un programme qui assurera à tous les élèves une meilleure connaissance de la

diversité de la société et une approche d’ouverture aux différences? Ou s’agit-il plutôt

d’un instrument pédagogique destiné à sortir la religion de la tête des enfants à partir

d’une approche essentiellement agnostique ou athée, qui dénie toute validité de

principe aux valeurs et à l’expérience religieuses? Le programme est-il conforme à la

conception de la laïcité qui s’est formée graduellement dans la jurisprudence

constitutionnelle, notamment dans le domaine scolaire? La preuve au dossier ne

permet pas de répondre avec confiance à ces questions.

[54] Dans sa jurisprudence, notre Cour a souligné l’importance de la neutralité

du réseau scolaire public. Elle a reconnu que la nature même d’un système

d’enseignement public implique la création d’occasions pour les élèves d’origines et

de religions différentes de prendre connaissance de la diversité des opinions et des

cultures qui existent dans notre société, même en matière religieuse. Le fait

d’informer les élèves sur des visions différentes du monde ne saurait être assimilé à

une violation de la liberté de religion (

Chamberlain c. Surrey School District No. 36,



2002 CSC 86, [2002] 4 R.C.S. 710, par. 65-66 et 211-212). Par ailleurs, dans le

régime politique canadien moderne, l’État conserve en principe une attitude de

neutralité. L’État ne saurait d’ailleurs adopter des lois privées privilégiant une

religion par rapport à une autre (

R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295,



p. 351, le juge Dickson (plus tard Juge en chef)). Dans un pays divers comme le

Canada, une telle attitude est devenue essentielle pour préserver la liberté

constitutionnelle de croire ou de ne pas croire et celle d’exprimer ses croyances

(

Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine



(Village)

, 2004 CSC 48, [2004] 2 R.C.S. 650). Dans son système d’enseignement



public, l’État n’a, en vertu des principes constitutionnels qui régissent son action, ni

l’obligation de favoriser la foi religieuse, ni le droit de décourager celle-ci. Seule cette

véritable neutralité respecte sa laïcité (J. Woehrling, « Les principes régissant la place

de la religion dans les écoles publiques du Québec », dans M. Jézéquel, dir.,

Les



accommodements raisonnables : quoi, comment, jusqu’où? Des outils pour tous



(2007), 215, p. 220).

[55] La preuve présentée par les appelants pour établir la violation de leur

liberté de religion consiste d’abord à affirmer leur foi et leur conviction que le

programme ÉCR porte atteinte à leur obligation d’enseigner et de transmettre cette foi

à leurs enfants. En outre, ils ont déposé le programme en question, lequel comprend

quelques centaines de pages remplissant un volume du dossier d’appel, en plus de

produire un manuel scolaire destiné à l’enseignement de ce programme.

[56] Cette documentation ne permet toutefois pas de conclure, suivant les

normes de la preuve civile, à une violation de la

Charte canadienne ou de la Charte



québécoise

. Cette conclusion découle de la nature même du document administratif



qu’a préparé le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec pour

expliquer le contenu général du programme, ses objectifs et ses méthodes. Dans sa

forme actuelle, il dit en réalité peu de chose sur le contenu concret de l’enseignement

et sur l’approche qui sera effectivement adoptée par les enseignants dans leurs

relations avec les élèves. Il ne détermine pas non plus le contenu des manuels ou des

autres ressources pédagogiques qui seront utilisés, ni leur approche à l’égard des faits

religieux ou des rapports entre les valeurs religieuses et les choix éthiques ouverts aux

étudiants. Le programme est composé d’énoncés généraux, de diagrammes, de

descriptions d’objectifs et de compétences à développer, ainsi que de

recommandations diverses sur son application. Même après une lecture attentive, il ne

permet guère d’apprécier quel effet entraînera réellement son application. Ainsi, il

demeure difficile de déterminer ce que signifiera le regard privilégié que le

programme devra porter sur le patrimoine religieux du Québec et sur l’importance

culturelle et historique du catholicisme et du protestantisme dans cette province (d.a.,

vol. V, p. 710).

[57] Un manuel a été déposé, puis des experts ont disserté et témoigné de part

et d’autre, en défendant ardemment des thèses contradictoires. La preuve sur les

méthodes et le contenu de l’enseignement, comme sur son esprit est restée

schématique. À moins de conclure que toute exposition d’un enfant à des réalités

différentes de celles de son milieu familial est inadmissible en raison de la protection

constitutionnelle ou quasi constitutionnelle accordée à la liberté de religion, je ne

saurais conclure que les appelants ont réussi à faire la preuve de leurs prétentions.

[58] Par ailleurs, l’état de la preuve ne me permet pas non plus de conclure

que le programme et sa mise en application ne pourront éventuellement porter atteinte

aux droits accordés aux appelants et à des personnes placées dans la même situation.

À cet égard, le seul manuel scolaire versé au dossier laisse dans une certaine mesure

perplexe quant à la présentation des rapports entre le contenu religieux et le contenu

éthique du programme. Par exemple, le contenu des exercices proposés à des élèves

de six ans à l’occasion de la fête de Noël inviterait-il à la folklorisation d’une

expérience et d’une tradition assimilées à de simples contes sur des souris ou des

voisins surprenants? Ce sont des questions et des inquiétudes possibles. Le dossier

soumis à notre Cour ne permet pas d’y répondre. Toutefois, il se peut que la situation

juridique évolue au cours de la vie du programme ÉCR.

[59] Pour ces motifs et avec ces réserves, je rejetterais le pourvoi, sans dépens.



Pourvoi rejeté.

Procureurs des appelants : Borden Ladner Gervais, Montréal.

Procureurs de l’intimée la Commission scolaire des Chênes : Morency

Société d’Avocats, Québec.

Procureurs de l’intimé le procureur général du Québec : Bernard, Roy &

Associés, Montréal.

Procureur de l’intervenante Christian Legal Fellowship : Robert E.

Reynolds, Montréal.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés

civiles : Davies Ward Phillips & Vineberg, Montréal.

Procureur de l’intervenante la Coalition pour la liberté en

éducation : Jean-Pierre Bélisle, Saint-Joseph-du-Lac, Québec.

Procureurs de l’intervenante l’Alliance évangélique du Canada : Vincent

Dagenais Gibson, Ottawa.

Procureurs de l’intervenant le Regroupement Chrétien pour le droit

parental en éducation : Côté Avocats Inc., Saint-Julie, Québec.

Procureurs des intervenants le Conseil canadien des oeuvres de charité

chrétiennes et l’Association canadienne des commissaires d’écoles

catholiques : Miller Thomson, Toronto.

Procureurs de l’intervenante la Fédération des commissions scolaires du

Québec : Guimont, Tremblay, avocats, Québec.